Olivier Afonso : Maquilleur FX, faussaire du réel.
- Victoire Boutron
- 10 mars
- 21 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 mars
Derrière les masques et les illusions du cinéma, Olivier Afonso façonne l'imaginaire du spectateur à travers le maquillage et les effets spéciaux. Issu de la peinture, bercé par le cinéma et l’art contemporain, il a transformé sa fascination pour l’image en une carrière où le faux devient plus vrai que nature. Nous l’avons rencontré dans son atelier à Montreuil, d’humeur “interrogative” suite à accumulations de péripéties personnelles peu réjouissantes. Cela ne l’a pas empêché de nous accueillir avec une générosité sincère, fidèle à son envie de mettre en lumière un métier souvent relégué dans l’ombre des productions. Entre anecdotes de tournage, engagement artistique et amour du travail bien fait, rencontre avec un artisan de l'illusion qui, derrière les monstres et les transformations, raconte avant tout des histoires.

© Pauline Mugnier
Pour accompagner votre lecture, plongez dans l’univers sonore d’Olivier Afonso, à travers une playlist qu’il décrit ainsi : "entre mélancolie et énervement, ça me ressemble bien !" :
Culture is the New Black : J'aimerais revenir sur votre enfance, qui, si je ne me trompe pas, a été marquée par le père d'un ami passionné de peinture et une télévision faisant office de nourrice... Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?
Olivier Afonso : Je suis issu de l'immigration. Mes parents, d'origine portugaise, sont arrivés en France dans les années 70. J'ai découvert plus tard que j'avais la double nationalité, franco-portugaise. Cette histoire m'a inspiré une BD sur le sujet (Les Portuguais, éditions Les Arènes BD). J'ai grandi dans la cité de Marcouville, à Pontoise. À cette époque, les enfants n'avaient pas de nourrices : on se gardait seuls. Quand ma sœur est née, avec cinq ans d'écart, j'ai joué le rôle de nounou. Quand tu grandis tout seul, ta nounou, c’est la télévision. Je regardais tout, sans toujours comprendre, mais cela a nourri mon imaginaire. La série Le Prisonnier, par exemple, m'intriguait même si je n'en saisissais pas le sens. Adolescent, La Cinq diffusait tous les classiques : Retour vers le futur, Indiana Jones... C’est là que j’ai découvert un autre monde que je trouvais génial. Ces images ont marqué mon regard sur le cinéma.
Dans la cité, le père d'un ami était un artiste au chômage passionné d'art contemporain. Il m'a initié à Jean-Michel Basquiat, Keith Haring, Julian Schnabel à travers des magazines américains qu'il dénichait je ne sais où. Sans avoir les codes, je me sentais attiré par cet univers. Plus les gens disaient que c'était du gribouillage, plus j'avais l'impression de détenir un secret. Tout petit, je devais avoir 7 ou 8 ans, j’ai donc voulu faire de la peinture. J'ai peint avant même d'écouter de la musique. D'ailleurs, chez moi, en raison d'un problème d'audition de ma mère, il était interdit d'écouter de la musique, ce qui a renforcé mon obsession pour l'image.
CNB : Étiez-vous déjà sensible aux effets spéciaux dans les films que vous regardiez étant enfant ?
Olivier Afonso : Sans en avoir conscience, oui et je l’ai compris bien après. J'ai toujours été sensible aux histoires à travers la peinture, les costumes et le maquillage. C'est en rencontrant Frédéric Lainé, à l'école Olivier de Serres, que j'ai réalisé que ces transformations dans les films étaient du maquillage. Lui était passionné depuis toujours ; à 15 ans, il fabriquait déjà des prothèses pour vieillir sa mère ! Il m'a expliqué son univers et, soudain, j'ai compris : ces visages déformés à l'écran, comme Sinok dans Les Goonies, n'étaient pas naturels. À l'époque, j'étais tellement absorbée par l'histoire que je ne me suis même pas demandé si c'était du maquillage. Aujourd'hui, en tant que maquilleur spécialisé en effets spéciaux, je suis capable de reconnaître les techniques utilisées et d'évaluer la qualité du travail. Parallèlement, je regardais une émission qui m'a ouvert les yeux sur cet univers : La Magie des effets spéciaux. J'ai alors réalisé que ce métier réunissait tout ce que j'aimais : art, peinture, sculpture et cinéma.
Sauf qu’à ce moment-là, vous vous étiez déjà lancé dans la peinture… Qu’est-ce qui vous a fait passer de la peinture au maquillage effets spéciaux ?
Olivier Afonso : Comme j'étais engagé dans la peinture, j'avais l'intention de continuer à exposer en galerie. Cependant, je détestais ce milieu à cause des gens et des galeristes. J'entendais plus de personnes se plaindre que la couleur du tableau n'allait pas avec leur papier peint que de gens cherchant à comprendre ce que je voulais exprimer. C'était frustrant. Aujourd'hui, j'aurais beaucoup plus de détachement. Comme l'écriture, la peinture est un travail très solitaire. On est le seul maître à bord, ce qui est bien, mais je me suis rendu compte que le travail en équipe me manquait. Je gagnais correctement ma vie, je vendais des tableaux, mais j'ai décidé de me lancer à plein temps dans le cinéma.
CNB : À l’époque, le métier de maquilleur FX était très peu démocratisé…
Olivier Afonso : C'est toujours le cas aujourd’hui ! Ce qui est surprenant, c’est que malgré la quantité d’informations disponibles sur Internet et des émissions comme Face Off, les gens ne comprennent toujours pas notre métier. Récemment, nous avons réalisé un canular avec Bob Sinclar. Au lieu de penser au maquillage, les gens évoquaient l’IA, des filtres ou des sosies, mais jamais notre travail ! La plupart ne savent pas exactement ce que nous faisons, et lorsqu’ils découvrent la supercherie, ils sont fascinés et se demandent comment c’est possible. Pourtant, le maquillage à effets spéciaux est présent dans tous les films. Cela vient en partie du manque de visibilité : aux Césars, par exemple, il n’y a même pas de catégorie dédiée. Il y a un paradoxe intéressant : nos créations sont tangibles, réelles, donc les gens ont l’impression de les comprendre, mais en réalité, ils ignorent totalement leur processus de fabrication. Ce flou contribue à un certain désintérêt. Mais dès qu’on commence à en parler, à montrer les coulisses et les étapes de conception, les spectateurs sont émerveillés. Aujourd’hui, il y a une mode autour des effets numériques et de l’IA, qui suscite énormément d’enthousiasme. On me demande souvent si cela m’inquiète, mais ce n’est pas le cas. Comme pour les effets numériques à leurs débuts, cette tendance finira par s’équilibrer. Les spectateurs recherchent avant tout de l’humain et des histoires auxquelles ils peuvent s’identifier. Lorsqu’un film repose uniquement sur des éléments artificiels, sans ancrage dans le réel, cela finit par créer un malaise.

© Pauline Mugnier
CNB : En raison de la méconnaissance qui entourait ce métier à l'époque, comment avez-vous réussi à vous informer sur le maquillage d'effets spéciaux ?
Olivier Afonso : Les informations étaient tellement rares qu’il fallait les chercher partout où on pouvait. En Angleterre, il existait des livres et des magazines spécialisés, alors on allait là-bas pour se les procurer. C'était un véritable parcours du combattant. Les anciens maquilleurs protégeaient jalousement leurs secrets, ce qui était totalement absurde. Avec l’arrivée d’Internet, tout a changé. On a soudain eu accès aux plus grands maquilleurs, comme Rick Baker, qui partageaient librement leurs techniques. On s’est alors rendu compte qu’en échangeant nos savoir-faire, on pouvait faire progresser le maquillage à une vitesse impressionnante. Aujourd’hui, on pourrait croire que c’est un métier ancien, alors qu’il n’existe réellement que depuis une quarantaine d’années. Malgré tout, il a connu des avancées phénoménales en matière de conception. On utilise désormais des logiciels de modélisation 3D, des imprimantes 3D, et des silicones ultra-performants en termes de texture et de toucher, des technologies impensables il y a encore vingt ans.
CNB : Concrètement, comment avez-vous appris votre métier ?
Olivier Afonso : Essentiellement sur le terrain ! C’est un apprentissage constant. Ce qui est fascinant avec l’art, c’est que l’on progresse sans cesse, non pas en devenant forcément "meilleur", mais en développant un regard différent. Je n’aime pas parler d’évolution en termes de hiérarchie de compétences, car ce n’est pas une compétition. On ne fait pas les Jeux Olympiques du maquillage, ce serait absurde ! Gagner un prix, ce n’est pas prouver qu’on est le meilleur, mais simplement que notre travail a su toucher un public à un instant donné. Les superviseurs changent, mais les techniciens restent les mêmes. Prenons l’exemple du film The Substance, sur lequel j’ai travaillé : j’ai conçu les prothèses mammaires pour le personnage de Sue, qui illustrent le message du film. Pourtant, le maquilleur qui est mis en avant aujourd’hui est un autre. En même temps, ce maquilleur a travaillé avec des personnes avec qui on collabore. Ce n’est pas une compétition entre nous. Notre société adore mettre les individus en compétition, mais ce n’est pas du tout notre état d’esprit. Ce qui est réellement enrichissant, c’est qu’à partir du moment où nous avons commencé à partager nos techniques, nous avons collectivement progressé. On est devenus plus performants, plus créatifs, et surtout, toujours au service d’une histoire.
CNB : Vous souvenez-vous de la toute première création que vous avez réalisée ?
Olivier Afonso : Je me souviens qu'à l'âge de 6 ans, j'ai découvert mon talent pour le dessin. N'appréciant pas particulièrement l'école, je me rappelle avoir pris un stylo Bic en classe et dessiner un dinosaure, un diplodocus. Ce dessin ne ressemblait pas à une simple œuvre d'enfant, mais représentait fidèlement le diplodocus avec des proportions correctes. Ma maîtresse n'a pas cru que c'était moi qui l'avais réalisé. C'est à ce moment-là que j'ai pris conscience de mon aptitude. Créer une illusion, faire croire à l'existence de quelque chose à travers la création, ça m'a toujours séduit. Parvenir à susciter une émotion simplement avec un crayon est une expérience qui m'a toujours plu !
CNB : Comment décririez-vous justement votre approche artistique ?
Olivier Afonso : C'est un joli mensonge ! Lorsque je collabore avec des réalisatrices et réalisateurs, mon objectif principal est de servir l'histoire, d'être complice de ce mensonge dans le sens noble du terme, c'est-à-dire dans l'invention. Il y a une phrase que j'aime beaucoup de Boris Vian qui dit : "Tout est vrai puisque je l'ai inventé", et ça, j'adore ! Nous, maquilleurs d'effets spéciaux, on est complices du mensonge, de la farce et de la blague, dans le but de créer une émotion.
CNB : Ce métier implique une grande proximité avec les comédiens, notamment lors des moulages. Comment gérez-vous cet aspect sensoriel et intime ?
Olivier Afonso : On est en contact permanent avec les gens. Si l'on n'est pas à l'aise avec le corps, avec les autres et avec le partage, ce métier n'est tout simplement pas fait pour nous ! Personnellement, je n'ai jamais eu de problème avec l’intimité. Pendant mes études d’art, nous dessinions des nus et je voyais cela uniquement comme un exercice d'observation. Lorsqu'on travaille avec des comédiens, on entre rapidement dans leur intimité. Si l'on fait bien son travail, ils finissent même par oublier notre présence. Ils passent leurs appels, parlent de leur quotidien… À un moment donné, on devient presque invisible.
Sur Titane, j'avais demandé à la comédienne (ndlr Agathe Rousselle) si elle souhaitait être maquillée par une équipe exclusivement féminine, ce qu'elle a désiré. Pour autant, elle m'a demandé de rester en me disant : "Toi, ce n'est pas pareil, tu n'es pas un garçon !" [rires]. C'était une sorte de compliment, cela signifiait que j’avais su instaurer une atmosphère de confiance. J’ai vécu cette situation plusieurs fois, ce qui prouve que j’ai réussi à disparaître dans mon rôle. Pourtant, je ne me suis jamais posé la question de comment mettre les gens à l'aise – mon approche a toujours été professionnelle. Je suis là pour travailler, rien d’autre. Quand de jeunes maquilleurs débutent et viennent me voir, je leur dis souvent : "On n'est pas là pour se faire des amis, on est là pour travailler." L’objectif reste avant tout d’être professionnel et de servir l’histoire. C’est une valeur essentielle dans notre métier.
CNB : Vous avez ensuite fondé l’Atelier 69… Comment est-il né et quelle était votre vision à l’époque ?
Olivier Afonso : Avec Frédéric Lainé, on a suivi la même formation à l'école Olivier de Serres. Il est ensuite allé travailler au studio de Jean-Christophe Spadaccini, un maquilleur d’effets spéciaux qui était là avant nous. C’est là qu’il a rencontré Guillaume Castagne, notre troisième associé, et ils ont commencé à collaborer ensemble. De mon côté, j’étais contraint de faire mon service militaire. De mon côté, j’étais condamné à faire mon service militaire. Je me suis débrouillé pour travailler dans la ville, ce qu’on appelle un “service ville”. près cela, j’ai envoyé des CV, essayé de rencontrer des professionnels, mais il n’y avait pas d’opportunités pour moi. J’ai donc pris la décision de créer mon propre atelier. J’ai commencé en travaillant pour le spectacle vivant et en donnant des cours de maquillage. Puis, en 2004, Frédéric m’a contacté parce qu’ils avaient besoin d’un coup de main. À partir de ce moment-là, j’ai collaboré régulièrement avec eux et, en 2006, l’atelier a pris la forme qu’il a aujourd’hui.

© Pauline Mugnier
CNB : Pouvez-vous décrire votre processus créatif ? À quel moment d’un projet fait-on généralement appel à vous ?
Olivier Afonso : Généralement, on est sollicités très en amont d'un projet, parfois même avant que le scénario ne soit finalisé. Il m'est arrivé d'être contacté dès la phase de développement de l'écriture, car la manière dont nous envisageons les effets peut influencer l'histoire. Dès qu'une ébauche de scénario existe, on nous appelle pour apporter notre expertise. Le processus se déroule en plusieurs étapes : d'abord, la lecture du scénario permet de repérer les éléments relevant des effets spéciaux. On discute ensuite avec le réalisateur ou la réalisatrice, puis avec le directeur ou la directrice de production pour aborder les aspects budgétaires. Ce métier est complexe, car il nécessite de concilier l'artistique avec les contraintes financières, tout en veillant à répondre aux attentes de la mise en scène. C'est un équilibre délicat à trouver.
CNB : Pourquoi fait-on appel à un maquilleur effets spéciaux plutôt qu’à des effets numériques ?
Olivier Afonso : Si les réalisateurs avaient le choix entre du vrai et du numérique, ils privilégieraient toujours le vrai. Il y a une présence physique sur le plateau avec laquelle les comédiens peuvent interagir. Dès que c’est filmé, ça existe, alors que le numérique intervient en post-production, une fois le tournage terminé. Avec le maquillage effets spéciaux, cette vérité est palpable sur le plateau. Les comédiens la ressentent, les techniciens aussi, et ça change tout. Cette authenticité permet de générer de l’émotion, et on contribue directement à ça. Quand on arrive sur le plateau, on apporte un vrai spectacle. Récemment, on a conçu un faux crocodile qui a bluffé tout le monde. Ce n’est pas seulement une question d’interaction pour les comédiens, ça impacte aussi toute l’équipe technique : la concentration est différente, l’ambiance de travail aussi. Il y a quelque temps, au festival de Gérardmer, j’étais avec la réalisatrice Emma Benestan et on se rappelait qu’au moment du tournage du film Animal, le maquillage d’Oulaya Amamra avait mis tout le monde mal à l’aise. Cette transformation a installé une atmosphère particulière sur le plateau, dont la réalisatrice s’est nourrie. Ce sont ces moments-là qui montrent la puissance du maquillage effets spéciaux et son impact sur un tournage.
CNB : Vous évoquez souvent les « effets invisibles » ; qu’entendez-vous précisément par là ?
Olivier Afonso : Je pense que l'erreur de beaucoup de gens est de vouloir se mettre en avant. C'est-à-dire qu'à partir du moment où on a réalisé un effet, on souhaite être félicité, remarqué, qu'on nous dise qu'on est très fort. Cela flatte, mais il faut savoir rester discret. Je dis souvent que si on le remarque, c'est que c'est raté. Il faut être vigilant à cela. Il faut savoir doser, car malgré tout, parfois, il est nécessaire que cela se voie. Tout dépend de la narration et de l'écriture du film. Parfois, les effets doivent être invisibles pour ne pas perturber la narration, et d'autres fois, ils doivent être présents pour contribuer au drame, à l'horreur ou au comique de la situation.
CNB : Comment percevez-vous l’évolution des effets spéciaux traditionnels face à l’essor de l’intelligence artificielle et des effets numériques ? Quel impact cela a-t-il concrètement sur votre métier ?
Olivier Afonso : Je m’y intéresse parce que c’est un outil fascinant qui permet de réaliser des choses impossibles auparavant. Par exemple, on a récemment collaboré avec le studio Mac Guff pour combiner nos savoir-faire avec l’IA. En France, il est interdit de tourner plus de trois heures avec un enfant. Pour la série Tout va bien, qui raconte l’histoire d’une petite fille atteinte d’un cancer et dont le visage gonfle à cause de la cortisone, on devait réaliser un maquillage complexe. Or, il nous fallait au minimum 2h30 pour l’appliquer, ce qui ne laissait que 30 minutes pour tourner, ce qui est irréalisable. On a donc trouvé une solution : maquiller l’enfant une seule fois, tourner une prise de moins d’une heure, et utiliser l’IA pour reproduire le maquillage sur d’autres scènes. L’IA a appris à reconnaître notre maquillage et le visage de la comédienne, puis l’a appliqué automatiquement sur les plans nécessaires. C’est un travail intéressant qui n’aurait pas été possible sans cette technologie. Est-ce que cela finira par nous remplacer complètement ? Peut-être, mais dans ce cas, on assistera à un autre type de cinéma. Ce ne sera plus le même langage visuel. Aujourd’hui, certains s’extasient devant des courts-métrages entièrement réalisés grâce à l’IA, mais personnellement, quelque chose me dérange. Il manque encore une dimension humaine.
Je suis très sensible à l’émotion, et sur ça, on ne peut pas tricher. Une émotion générée par des effets numériques ne provoque pas la même réaction qu’un effet physique tangible. Peu importe l’éducation du spectateur, ce qu’il recherche avant tout, c’est l’émotion. Si elle est absente, on assiste à une simple démonstration technique, mais on ne ressent rien. Je ne rejette pas la technologie, mais aujourd’hui, elle ne me touche pas encore sur le plan émotionnel.
CNB : Votre studio s'est également spécialisé dans l'animatronique… Pourquoi ce choix et quels avantages cette technique offre-t-elle par rapport aux autres méthodes ?
Olivier Afonso : L’animatronique est la contraction d’"animation" et "mécanique". Concrètement, on fabrique une structure – par exemple une fausse tête – dans laquelle on intègre un noyau, puis on applique une couche de silicone, comme une cagoule. L’objectif est de reproduire les mouvements d’un visage sous cette couche de silicone. Chaque partie du visage est animée par différents moteurs : l’un fait bouger les sourcils, un autre la mâchoire, etc. L’ensemble est contrôlé à distance grâce à des télécommandes, un peu comme celles utilisées pour les voitures télécommandées. En somme, c’est une marionnette sophistiquée, assistée par des systèmes mécaniques. Aujourd’hui, on a intégré une technologie empruntée au numérique : la motion capture (MOCAP). Des caméras capturent les mouvements du visage d’un comédien et transmettent ces informations à une télécommande, qui les envoie ensuite au mécanisme de la marionnette. Résultat : le visage de la marionnette reproduit en temps réel les expressions du comédien. C’est, en quelque sorte, une marionnette robotisée.

© Pauline Mugnier
CNB : En 2021, votre studio a été récompensé du César Technique… Que symbolise pour vous cette récompense ?
Olivier Afonso : Comme il n’existe pas de César du maquillage, on a décidé de déposer un dossier pour le César Technique. On l’a obtenu et on était ravis ! C’est toujours gratifiant d’être reconnu pour son travail. La seule déception, c’est que la cérémonie s’est déroulée en pleine période de confinement, donc tout s’est fait en visioconférence. On n’a même pas pu profiter des petits fours ! [rires] Cela n’a pas eu un impact énorme en soi, mais cette récompense a permis de mettre en lumière notre métier, de rappeler qu’il existe et d’expliquer ce qu’est un César Technique. Beaucoup de gens ignorent encore l’existence de nombreux métiers techniques du cinéma, et ce prix a été une belle opportunité pour les mettre en avant.
CNB : Pensez-vous qu'il serait bénéfique de créer davantage de récompenses pour mettre en lumière les métiers de l'ombre dans le cinéma ?
Olivier Afonso : Au-delà des prix, il faut en parler. Des professions telles que les cascadeurs, les directrices de casting, les équipes de production ou encore la régie jouent un rôle crucial dans la réalisation d'un film, bien qu'elles soient souvent méconnues du grand public. De nombreux jeunes souhaitent travailler dans le cinéma sans savoir quelles opportunités s'offrent à eux, alors que le secteur regorge de métiers variés. Malheureusement, le milieu reste élitiste, et beaucoup n'osent pas s'y aventurer.
CNB : Les effets spéciaux ont souvent pour vocation de tromper le public. Un exemple récent, qui a suscité un énorme buzz sur les réseaux sociaux, est votre collaboration avec Bob Sinclar, où vous avez réalisé une fausse chirurgie esthétique si réaliste que tout le monde y a cru. Pouvez-vous nous raconter les coulisses de cette transformation ?
Olivier Afonso : À l’époque, on avait déjà réalisé un canular pour le film Rock’n’Roll de Guillaume Canet. Guillaume y partageait beaucoup d’éléments personnels, ce qui donnait l’impression au spectateur de regarder un documentaire. Mais plus le film avançait, plus tout devenait absurde. Il posait des questions sur le vieillissement, l’apparence, et ce que cela implique. Ce qui était drôle, c’est que les fans de Guillaume pouvaient avoir l’impression de découvrir sa vraie vie à travers le film, alors qu’en réalité, tout était une pure fiction. Tout ce qu’on racontait était faux, et c’était ça, la force du canular. Dans la même veine, on avait ensuite transformé Laurent Lafitte aux Césars en lui injectant un faux botox. Il est resté totalement naturel et a évoqué le temps qui passe, ce qui a déclenché des réactions incroyables. Beaucoup de gens l’ont contacté, inquiets pour lui. On avait aussi fait des lèvres botoxées à Marion Cotillard, qui avait posté la photo sur Instagram. Son agent l’a aussitôt appelée, paniquée. Tout cela montre à quel point ces transformations peuvent avoir un impact fort sur la perception du public.
Pour Bob Sinclar, le réalisateur du clip, Jonathan Kluger, m’a demandé si je savais qui avait réalisé le maquillage de Laurent Lafitte, car il avait une idée similaire pour Bob. On a alors commencé à réfléchir à une mise en scène. On l’a maquillé très tôt le matin et tourné une dizaine de vidéos pour créer un effet de continuité, afin que le subterfuge paraisse encore plus crédible. Au départ, je pense que Bob Sinclar voulait juste faire un coup de communication pour promouvoir son prochain titre. Mais ce qui l’a frappé, c’est la réaction des gens face à son apparence transformée. Il s’est rendu compte du jugement immédiat que cela entraînait et de la manière dont certains s’appropriaient son choix, comme s’il leur posait un problème. Finalement, ce projet a dépassé le simple coup marketing pour devenir une véritable expérience sociale. C’était hyper intéressant, c’est un peu de l’anthropologie, une sorte d’étude sociale. On ne s’attendait pas à un tel impact, et ça a même mieux fonctionné que prévu.
CNB : Comment avez-vous réagi face au buzz et aux réactions parfois virulentes qui ont suivi cette collaboration ?
Olivier Afonso : Personne ne s’est douté que c’était du maquillage, tout le monde pensait qu’il s’agissait de filtres numériques. C’est là qu’on réalise à quel point les gens ne comprennent pas comment fonctionne réellement ce type d’effets. Les filtres ne marchent pas comme ça ! On s’est aussi rendu compte de la puissance des réseaux sociaux, où il est possible de manipuler la réalité à volonté. Certains affirmaient avoir croisé Bob Sinclar dans la rue, alors que je savais pertinemment qu’il était déjà parti à l’étranger. D’autres tentaient de prouver qu’il avait réellement subi une chirurgie esthétique en déterrant d’anciennes vidéos.
Ce qui m’a frappé, c’est que notre société encourage chacun à se construire son propre récit, quitte à déformer la réalité. C’est fascinant de voir à quel point certaines personnes veulent exister à travers des histoires qu’elles inventent ou qu’elles s’approprient. D’une certaine manière, c’est comme si de petits réalisateurs naissaient sur Internet, construisant des fictions personnelles à partir de faits anodins. Finalement, ce canular a dépassé l’effet recherché. En étant à la fois acteur et victime de cette expérience, Bob Sinclar a pris conscience de la façon dont les gens jugent les choix des autres, même lorsqu’ils ne les concernent pas. Il a aussi pu démontrer que la beauté est avant tout une question de perception et de confiance en soi. Qu’on aime ou non un film, un clip ou une transformation physique, il devrait toujours y avoir cette liberté de faire ce que l’on veut, tant que cela ne nuit à personne. Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont redoutables pour juger, critiquer et imposer des normes.

© Pauline Mugnier
CNB : Cette expérience montre que les effets spéciaux peuvent transmettre des messages puissants au-delà de leur simple fonction visuelle. Pensez-vous que les effets spéciaux peuvent être considérés comme une forme d'art engagé, allant au-delà du divertissement ?
Olivier Afonso : Absolument ! On est souvent sollicités pour des projets visant à sensibiliser le public à des causes importantes. Par exemple, on a travaillé sur des campagnes abordant les violences faites aux femmes, en réalisant des maquillages représentant des nez cassés, des mâchoires fracturées, des hématomes, etc. On a également contribué à des publicités traitant du cancer, comme celle mettant en scène un Père Noël perdant ses cheveux suite à un traitement. En montrant ces réalités à travers notre art, on participe à la sensibilisation du public, ce qui confère aux effets spéciaux une dimension d'art engagé.
CNB : Vous êtes également passé derrière la caméra en réalisant le long-métrage Girls With Balls en 2018, avec notamment Orelsan. Que vous a apporté cette expérience de réalisateur ?
Olivier Afonso : Je n’avais rien prémédité, tout est parti d’une envie de raconter une histoire. En 2006, j’ai accompagné David Morlet au Festival de Gérardmer, où il présentait son court-métrage Morsure. C’était aussi l’année où Frontière(s) de Xavier Gens et REC de Jaume Balagueró et Paco Plaza étaient projetés. Je me souviens de l’ambiance incroyable dans la salle pour REC : les spectateurs criaient, vivaient pleinement le film.
En rentrant, j’ai contacté Jean-Luc Cano, avec qui j’ai coécrit Girls With Balls, pour lui proposer d’écrire un film dans cet esprit. Il était très premier degré, alors que je voulais quelque chose de drôle, avec beaucoup de second degré et une touche trash, façon Braindead. On a eu des producteurs intéressés, mais à mesure que le projet avançait, on nous demandait d’édulcorer l’histoire. Finalement, ça n’a pas abouti : produire un film de ce genre en France était trop compliqué.
CNB : Et comment le projet a-t-il fini par voir le jour malgré ces obstacles ?
Olivier Afonso : En 2012, Jean-Luc m’a rappelé : un producteur avait lu le scénario et voulait relancer le projet. C’est comme ça que j’ai rencontré Jean-Marie Antonini, un personnage haut en couleurs qui savait faire bouger les choses. À tel point que, pendant un temps, Jean-Claude Van Damme était pressenti pour jouer dans le film, mais il voulait toujours plus d’argent. Entre-temps, Jean-Luc est devenu très pris par Life is Strange, qui a cartonné. Je me suis donc retrouvé seul à porter le projet avec le producteur. Ça a capoté, mais on avait déjà ouvert des portes, et un autre producteur, Jérôme Vidal, est entré en jeu. J’avais obtenu des subventions du Luxembourg, mais Jérôme m’a proposé de tourner en Espagne, à Tenerife. J’ai accepté tout de suite !
CNB : Le tournage a-t-il été compliqué ?
Olivier Afonso : Très ! Je n’ai quasiment pas eu de préparation, je ne connaissais pas l’équipe… On a fait avec les moyens du bord. Une semaine avant le tournage, j’ai décidé de ne pas faire de répétitions pour que les comédiennes apprennent à se découvrir naturellement. On a tourné en 25 jours, ce qui était impensable à l’époque. Aujourd’hui, c’est plus courant, mais j’ai la prétention de croire qu’on a prouvé que c’était possible ! J’avais dit à toute l’équipe : Si on s’amuse, le public le ressentira. Le film a été terminé en 2019, après des galères avec le distributeur et des problèmes financiers qui ont retardé la post-production. La première projection a eu lieu à Austin, car on avait été sélectionnés dans leur festival.
CNB : Et comment s’est passée la distribution du film ?
Olivier Afonso : Mon vendeur international l’a présenté à l’AFM (American Film Market), et à ma grande surprise, Amazon et Netflix se sont montrés intéressés. Finalement, c’est Netflix qui a acquis les droits, et Girls With Balls est devenu l’un de leurs premiers films français estampillés Netflix Original. Ce qui est ironique, c’est que l’acquisition a été faite par Netflix US, pas Netflix France. Moi, je voulais que ce soit un film de festivals, mais ça a pris une autre trajectoire.
CNB : Vous avez aussi collaboré avec Orelsan sur ce projet. Comment cela s’est-il fait ?
Olivier Afonso : À l’origine, le rôle du narrateur devait être joué par Didier Super, mais il s’est désisté. J’ai alors pensé à Orelsan. Il m’a demandé en quoi consistait le rôle, et je lui ai répondu : Tu dois mal chanter, dire des conneries, spoiler le film, jouer de la guitare et être habillé en cowboy. Il a immédiatement accepté !
À l’époque, il travaillait sur l’album La fête est finie. Il est arrivé à la dernière minute, a improvisé ses chansons et les a volontairement mal chantées, comme je le voulais. Une technicienne sur le tournage, en l’entendant, s’est retournée et m’a dit, choquée : Mais en fait, il chante hyper mal, Orelsan ?! [rires] Le plus drôle, c’est que la première projection du film a eu lieu au Texas, où il s’ouvre sur un cowboy dans un décor de western. Pour eux, c’était normal, alors que pour nous, c’était absurde !
Aujourd’hui, Girls With Balls divise : j’ai reçu des messages d’amour comme des critiques très violentes. Certains m’ont même menacé parce que le film montre un couple lesbien. Mais c’est justement ce qui m’intéresse : normaliser des choses encore pointées du doigt. Même en faisant un film complètement barré, on peut passer des messages. Le film a ses défauts, mais au moins, on s’est marrés en le faisant, et c’est ce qui compte !
CNB : Ce n’était pas votre première collaboration avec Orelsan, puisque vous aviez déjà travaillé avec lui sur le clip Défaite de famille, dans lequel vous l’avez vieilli de manière impressionnante. Comment se déroulent vos collaborations ?
Olivier Afonso : C’est un joyeux bordel très structuré ! Orelsan est quelqu’un qui fonctionne à 100 à l’heure, il a mille idées à la seconde et, surtout, il est toujours partant pour tout. C’est quelqu’un que je connais depuis longtemps et qui n’a jamais changé. Sa gentillesse et sa simplicité me fascinent. Il a aussi une volonté de fer. Dans Yoroï, le premier long-métrage de David Tomaszewski qu’il a coécrit, il a dû faire une transformation physique impressionnante. Je ne sais même pas comment il a fait. Avec lui, c’est toujours fluide, il n’y a jamais de problème. On trouve toujours une solution, même quand les contraintes techniques sont complexes. Pour Défaite de famille, l’un des défis était de concevoir un maquillage et un processus de démaquillage qui serviraient la narration. On a créé une vingtaine de personnages avec un système où, à chaque démaquillage, un nouveau personnage apparaissait. Tout devait être structuré pour s’adapter à son tournage et permettre cette transition fluide entre les rôles. C’était un vrai casse-tête technique, mais Orelsan s’est complètement investi !
CNB : Y a-t-il d'autres artistes avec qui vous rêveriez de collaborer sur des projets similaires ?
Olivier Afonso : Je ne rêve pas de collaborations spécifiques, car j'aime être surpris. Cependant, il y a des personnes avec qui j'apprécie particulièrement travailler. Je pense immédiatement à Quentin Dupieux, avec qui on a collaboré sur tous ses films, sauf "Yannick" qui ne nécessitait pas notre intervention. À chaque fois, c'est un plaisir renouvelé. Bien que cela puisse être exigeant en termes de préparation, je pense également à Julia Ducournau. J'ai été particulièrement séduit par le dernier film de Robert Egger, Nosferatu. Je trouve qu'il ose proposer des choses nouvelles, et j'apprécie ce sens du spectacle. Son cinéma me parle beaucoup. Récemment, un jeune réalisateur italien nous a contactés pour une coproduction avec la France. Son producteur m'a confié qu'il tenait absolument à travailler avec moi, ce qui m'a profondément touché. Je suis sensible à ça !
CNB : Vous dites souvent que ce sont avant tout les histoires qui vous intéressent… En quoi les effets spéciaux représentent-ils pour vous un moyen privilégié et unique pour raconter ces histoires ?
Olivier Afonso : J’ai toujours trouvé que les effets spéciaux sont ce qui fait la différence. C’est l’épice supplémentaire à ton plat qui fait qu’il y a un goût que tu ne connais pas et qui te donne envie d’y revenir. Malheureusement, les productions les éliminent souvent en pensant réaliser des économies, sans comprendre que ces effets contribuent à la saveur du projet. Ce sont eux qu'on met en avant dans les bandes-annonces et les making-of. Je suis fier de ça parce que j’ai l’impression d’être l’épice du film !
🔍Vidéo en immersion dans son atelier sur notre chaine Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=tL472FZU11o&t=22s
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