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RENCONTRE AVEC DAVID FOENKINOS : Call it Fate, Call it Karma

  • Hugo Lafont
  • 3 févr.
  • 11 min de lecture

À l'occasion de la sortie de son nouveau roman Tout le monde aime Clara ce 6 février, nous avons rencontré David Foenkinos à l'aube de sa tournée promotionnelle. Derrière ce titre intrigant se cache un roman où le hasard, l’intuition et les rencontres imprévues façonnent les destinées. Depuis toujours, Foenkinos s’intéresse à ces coïncidences qui, en s’enchaînant, prennent des allures de nécessité. Il explore l’invisible : ces liens entre passé et présent, cette impression que certains moments, certaines personnes, étaient déjà inscrits quelque part, avant même qu’on les vive.


Pour lui, écrire n’a jamais été une quête de vérité, encore moins un exercice de démonstration. Il avance sans carte, guidé par une forme d’inconscience créative, laissant les mots le précéder avant d’en saisir pleinement la portée. Ce n’est qu’après coup, souvent au moment de la relecture ou des échanges avec ses lecteurs, qu’il prend conscience de ce qu’il a réellement écrit. De Charlotte à Vers la beauté, son œuvre oscille entre la fascination pour ces trajectoires inachevées, ces destins suspendus, et une réflexion plus profonde sur ces rencontres inattendues qui, sans prévenir, redessinent les contours d’une existence.


À travers Tout le monde aime Clara, David Foenkinos poursuit cette exploration du mystère et du temps. Car si la vie est une succession de hasards, l’écriture, elle, tente d’y mettre du sens. Comme il le dit si bien, peut-être, au fond, est-ce sa seule véritable mission : apporter un éclaircissement à la confusion.


© Pauline Mugnier


David Foenkinos, quelle est votre humeur du moment ? 


Je vais très bien ! On se voit au tout début du marathon promotionnel, donc pour l’instant, je suis encore frais, l’esprit vif et alerte. Dans quinze jours, ce sera une autre histoire… Je ressemblerai sans doute à une épave dépressive ! Mais pour l’instant, je suis enthousiaste et heureux. Chaque sortie de livre est une nouvelle aventure, presque une renaissance, et il n’y a aucune routine dans ce moment-là.


Rentrons justement dans le vif du sujet ! Tout le monde aime Clara est un titre intriguant et mystérieux. Pourtant, l’histoire semble se tisser bien au-delà de cette figure centrale. Pourquoi avoir choisi Clara comme porte d’entrée pour un récit aux multiples facettes ?


C’est vrai que le titre intrigue, et j’ai tout misé dessus ! Je l’aime beaucoup, parce qu’il pousse forcément à se demander : Pourquoi tout le monde aime Clara ? Qu’a-t-elle de si particulier ? D’autant plus que je ne mets rien en quatrième de couverture, car j’adore l’idée qu’un lecteur puisse plonger dans un livre sans en connaître le sujet. Personne ne s’attend aux histoires qui se cachent derrière Clara, et au fond, le livre parle autant d’elle que de ce tout le monde mentionné dans le titre. Tout est là, dans ces quelques mots. J’ai choisi ce prénom avant tout pour sa musicalité, car j’accorde une grande importance aux sonorités lorsqu’il s’agit de nommer mes personnages. Et puis, en arrière-plan, il y a un clin d’œil à Clara et les chics types, un film que j’adore. Cela m’a semblé être une évidence.


Le roman semble profondément habité par l’idée des coïncidences et des signes du destin. Vous écrivez : “La vérité traversée par l’incessante folie du hasard.” Voyez-vous le hasard comme une force organisatrice de nos vies, ou plutôt comme un prétexte que nous utilisons pour donner du sens à nos parcours ?


Le hasard est un thème qui revient effectivement sans cesse dans mes livres. Dans La Famille Martin, par exemple, un écrivain descend dans la rue et choisit au hasard la première personne qu’il croise pour en faire le sujet de son roman. Numéro Deux explore lui aussi cette idée, à travers l’histoire d’un garçon qui, sans l’avoir cherché, se retrouve finaliste du casting d’Harry Potter. On dit souvent que le hasard fait bien les choses, mais il peut tout aussi bien les faire mal. Moi, je préfère dire que le hasard est un incroyable directeur de la communication. Il a une image positive, presque magique, alors qu’il peut parfois être cruel. C’est cette tension qui me fascine. Pour moi, le hasard, c’est l’irruption du roman dans la vie : ce moment où l’on se laisse guider par des événements qui semblent nous échapper. Ce qui est passionnant pour un romancier, c’est de lire le hasard à l’envers. Revenir sur le fil des dernières semaines, des derniers jours, et réaliser que cette orchestration était soit magistrale, soit désastreuse. Dans mon dernier livre, j’explore cette idée en décomposant certaines scènes à la seconde près, en montrant à quel point un simple décalage de quelques instants aurait tout changé. C’est vertigineux de réaliser que la vie est une voie unique, et que nous pouvons passer notre temps à interroger toutes les autres possibilités qui auraient pu exister.


Clara traverse des épreuves intenses, notamment un coma qui semble avoir marqué un tournant dans son existence. Ce traumatisme résonne avec votre propre hospitalisation adolescente. Peut-on y voir une portée autobiographique dans ce roman ?


Je crois bien, oui ! Ce qui me surprendra toujours, c’est que je comprends vraiment mes livres après les avoir écrits. Pour moi, l’écriture est profondément liée à une forme d’inconscience. C’est d’ailleurs ce qui m’a poussé à explorer le thème de la voyance, des intuitions, de ces choses qui nous échappent et que l’on ne rationalise pas. Avec le temps, je me suis rendu compte que, malgré leur dimension romanesque, certains de mes livres avaient une portée très personnelle. La Délicatesse, par exemple, parle du deuil et d’un retour à la vie, et j’ai mis longtemps avant de réaliser à quel point cela faisait écho à ma propre histoire. À 16 ans, j’ai vécu une expérience de mort imminente avant de revenir à la vie. Et aujourd’hui, je me retrouve à écrire l’histoire d’une jeune fille hospitalisée à 16 ans, qui se réveille changée, sans même avoir perçu, en l’écrivant, la part autobiographique évidente. La seule différence, c’est qu’après mon hospitalisation, je n’ai pas développé de don de voyance… mais j’ai commencé à écrire. Et ce livre interroge justement le lien entre l’écriture et la voyance. Alors oui, encore une fois, c’est sans doute une énième autobiographie déguisée !


Justement, quel lien entretenez-vous avec cette forme d’ésotérisme que je vois apparaitre de plus en plus dans vos romans, totalement présente même dans Tout le monde aime Clara ?


Ce thème était déjà esquissé dans Charlotte, avec cette étrange attraction pour certains lieux, certaines époques, certaines personnalités… On a tous ces sensations inexplicables, ces intuitions qu’on ne parvient pas vraiment à définir. Mais jusque-là, je n’avais fait qu’effleurer le sujet. Il m’a fallu vingt romans pour m’y plonger réellement. Ce livre marque un tournant, car il aborde enfin le sujet fondamental pour moi du mystique. Ayant connu la mort, j’ai forcément développé un rapport plus ésotérique aux choses. Pourtant, j’ai toujours eu du mal à en parler, de peur que cela paraisse incongru, trop perché. Alors j’ai longtemps avancé sur ces sujets avec le pied sur le frein. Ici, je les évoque pour la première fois, même si ce n’est pas le cœur du livre. À travers la voyance, l’astrologie, les signes, la possibilité de la réincarnation… Ce sont des thèmes qui me fascinent. Pour citer Mitterrand, je crois beaucoup aux forces de l’esprit. J’accorde de l’importance aux sensations, aux signes, mais sans chercher à convaincre qui que ce soit. Je ne suis pas un militant, juste un curieux de l’invisible.


Mais si vous craignez alors un peu les réactions face à vos appétences pour l’ésotérisme, pourquoi avoir osé en faire un véritable sujet du livre 


J’ai un rapport presque obsessionnel à l’attente de l’inspiration. Je travaille énormément, je ne peux pas passer une journée sans qu’un projet n’anime mon esprit. Mais pour ce livre, je savais dès le départ que je voulais explorer un sujet qui me fascinait : la naissance de la voyance. D’ordinaire, j’enquête peu pour mes romans, mais cette fois, j’ai voulu aller plus loin. J’ai rencontré plusieurs voyants pour comprendre à quel moment cette capacité était apparue dans leur vie, comment elle s’était manifestée. Comment vit-on avec des flashs ? On y croit ou non, mais au-delà de ça, ce qui m’intéressait, c’était leur expérience intime. Je ne suis pas adepte de la voyance, je n’ai jamais consulté de voyant. Ce n’est pas mon énergie de me rassurer par l’occulte. Mais le sujet me passionne, et ces rencontres ont été fascinantes. Certains ont découvert leur don après un accident ou un drame, d’autres l’ont hérité de leur famille. Chaque histoire était unique, troublante, et poussait à la réflexion de comment on s’en sort quand on est sujet à de telles dispositions.


Pour rester dans le sujet, vous écrivez dans le livre : “Dans toute création, la part absente de la raison est toujours la plus active.” Pensez-vous que le mystère et l’indéfinissable sont nécessaires et contingentes à la quête de la beauté et de la création ?


C’est toute ma vie. J’ai souvent l’impression d’être un passager inconscient de ce qui m’arrive. Quand j’ai commencé à écrire, je ne me suis jamais dit que je deviendrais écrivain. Et même aujourd’hui, quand une idée surgit, je ne sais pas toujours pourquoi elle vient à moi. Il y a quelque chose d’étrange, presque insaisissable, dans ce processus. Surtout en fiction, je me laisse totalement guider par l’intuition, l’inspiration. J’ai le sentiment que la part de non-raison dans la création est bien plus forte que la raison elle-même. Comme je le disais, je comprends souvent mes livres une fois qu’ils sont terminés, au moment de leur promotion, quand je dois les analyser et les expliquer. Sans cette part de mystère, sans ce flou dans lequel je plonge à chaque écriture, je perdrais sûrement quelque chose d’essentiel. Ce brouillard créatif est aussi excitant que le moment où la lumière se fait sur ce que j’ai réellement écrit.


© Pauline Mugnier


Éric Ruprez, cet écrivain hanté par le syndrome de l’imposteur et l’idée de l’inachèvement, devient un personnage clé du roman. Quelle est votre propre relation à ces deux notions : le doute et l’inachèvement ?


C’est quelque chose qui me fascine totalement : l’incapacité, l’impossibilité de créer. C’est paradoxal, mais je lis énormément de biographies d’artistes qui, à un moment donné, se retrouvent bloqués, incapables d’avancer. C’est même au cœur de mon livre. J’ai une vraie fascination pour les trajectoires inachevées, imprécises, improbables. Il y a, je crois, quelque chose de profondément romanesque dans l’inaccomplissement. Une puissance presque plus forte que dans l’œuvre aboutie. Cet écrivain qui n’écrit pas, d’une certaine manière, me semble parfois encore plus écrivain que celui qui écrit.


L’amour occupe une place centrale dans le roman : celui qui naît, celui qui finit, ou celui qui reste inabouti. Pensez-vous que l’amour est le fil conducteur de nos existences, même lorsqu’il semble échouer ?


Je crois profondément que l’amour est la seule force capable de cicatriser certaines blessures. Et au-delà de l’amour, il y a le regard aimant de quelqu’un. Parfois, c’est tout ce dont on a besoin. Quand j’ai écrit sur John Lennon, ce qui m’intéressait vraiment, c’était Yoko Ono. Lui, marqué par ses blessures d’enfance, au bord de la rupture, rencontre cette femme qui va l’ancrer, le structurer. Dans Charlotte, c’est pareil : Alfred pose sur elle un regard qui la pousse vers la création. Chez certains êtres fragiles, c’est peut-être la seule chance de survivre. Il y a une phrase dans Charlotte qui résume parfaitement cela : « Puisses-tu ne jamais oublier que je crois en toi. » Avoir quelqu’un qui croit en toi, qui porte sur toi un regard bienveillant, peut réparer, consoler. Au fond, on a tous besoin d’une personne qui nous aime profondément.


Le roman explore également la relation entre l’écrivain et son œuvre, notamment à travers Éric Ruprez. Selon vous, que doit offrir un livre à son auteur ?


C’est une question particulière pour moi, et je ne sais pas vraiment si je peux y répondre. J’écris beaucoup, avec l’envie que mes histoires puissent véritablement embarquer ceux qui les lisent. C’est quelque chose qui a de la valeur pour moi. Mais mes livres sont très différents les uns des autres. Quand j’ai écrit Charlotte, mon moteur était l’obsession, l’envie de partager ma fascination pour elle, de faire en sorte qu’on ne l’oublie pas. D’autres livres, en revanche, sont pensés comme du pur divertissement. Mon rapport à l’écriture est fluctuant, et je ne crois pas qu’il faille trop se poser cette question quand on écrit. Depuis peu, j’ai un compte Instagram, et je reçois énormément de messages. Cela me permet de découvrir ce que mes livres provoquent chez les lecteurs, ce qui est assez émouvant. Vers la beauté, par exemple, est aujourd’hui de très loin mon livre le plus lu, et je reçois beaucoup de retours à son sujet. Mais tout cela, aussi précieux soit-il, ne doit pas interférer avec l’écriture. Quand j’écris, je dois oublier tout ça.


Le roman évoque les liens invisibles entre les vies, ces coïncidences ou “dominos” qui semblent tout connecter. Croyez-vous que les vies humaines s’entrelacent toujours de manière significative, ou est-ce une illusion nécessaire pour avancer ?


D’une certaine manière, je crois profondément en la forme romanesque dans la vie quotidienne. Je suis persuadé que les vies s’entrelacent, qu’il existe des liens invisibles entre les générations. Walter Benjamin a écrit une phrase essentielle pour moi : « nous avons été attendus sur la terre ». Il y a un fil entre le passé et le présent, une continuité qui nous dépasse. Au fond, dans une vie, les relations vraiment marquantes ne sont pas si nombreuses. Les amis, les amours, les rencontres qui comptent… Pourquoi ces personnes-là et pas d’autres ? Quelle est cette élection affective qui fait que l’on traverse l’existence avec certains et non avec d’autres ? J’ai la conviction qu’il existe un lien inconscient, quelque chose qui nous précède et qui nous échappe. On dit que le coup de foudre existe déjà en nous, qu’il est la révélation d’une présence qui attendait d’être reconnue. Je crois que notre corps est en avance sur nous, qu’il sait avant nous quand une personne va compter. Quand on se sent immédiatement bien avec quelqu’un, ce n’est peut-être pas un hasard, mais le prolongement d’une disposition déjà inscrite en nous. Ce livre parle de ça. Il frôle volontairement une forme de mysticisme, cette idée que notre conscience dépasse ce que nous en percevons. Pour montrer que cette intuition n’a rien de loufoque, je m’appuie sur Modiano, qui lui aussi explore ces connexions invisibles. Nous sommes porteurs du passé, dans nos gènes, dans l’air que nous respirons. Inutile de tout expliquer ou de chercher à définir ces sensations qui nous échappent… Peut-être que les personnes essentielles dans nos vies ne sont pas simplement des rencontres, mais des retrouvailles.


La dernière partie du roman apporte une conclusion lumineuse, presque magique, à l’histoire. Comment travaillez-vous ces moments où tout semble enfin converger ? Est-ce le fruit d’un long travail de réflexion ou d’une intuition presque immédiate ?


C’est drôle, parce que je ne m’en rends pas compte en écrivant ! Je ne suis pas du genre à lire tous les commentaires sur mes livres, mais j’ai remarqué que beaucoup de lecteurs de celui-ci disaient ne pas savoir où l’histoire allait les mener durant les deux premières parties, avant que tout ne s’éclaire dans la dernière. Comme si, soudain, les éléments se recomposaient et prenaient sens. J’ai toujours aimé les histoires très romanesques, celles qui, au premier abord, semblent presque improbables mais qui, peu à peu, retombent sur leurs pieds avec une vérité et une logique implacables. C’est un mécanisme qu’on retrouve souvent dans les comédies romantiques – même si ici, on n’est pas dans ce registre – où deux personnages que rien ne destinait à se rencontrer finissent par jouer un rôle essentiel l’un pour l’autre. Clara va comprendre le sens positif de ce qu’elle traverse, et Ruprez va renouer avec la vie littéraire. Au cœur de cette histoire, il y a aussi une sculpture à Rome qui me fascine. C’est la première fois que j’intègre une illustration dans un de mes livres. J’ai longuement hésité, parce que je l’aime tellement que j’ai peur que mes lecteurs aillent désormais la voir ! Peut-être vais-je involontairement créer un petit buzz au cimetière catholique de Rome…


Enfin, à travers Clara et Ruprez, ce roman parle d’épreuves, mais aussi de dépassement, du fait de se trouver soi et de s’accepter malgré les épreuves. Quel message espérez-vous que vos lecteurs retiendront de cette histoire ?


Je n’écris pas dans l’intention de laisser un message précis. Ce qui me plaît, c’est que chacun puisse voir dans un livre ce qu’il a envie d’y voir, sans direction unique. Ce qui m’intéresse, c’est cette idée que l’on passe une grande partie de notre vie à ne pas comprendre ce que l’on vit, avant que tout ne prenne sens, parfois bien plus tard. J’aime cette progression, ce dévoilement progressif. Si mon écriture porte un message, ce serait celui-là : apporter un éclaircissement à la confusion.


Tout le monde aime Clara est à retrouver en librairie à partir du 6 février : https://www.gallimard.fr/catalogue/tout-le-monde-aime-clara/9782073100412

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