Rencontre avec Rebecca Benhamour et Emma Bazin : All you need is LOVE
- Hugo Lafont
- 17 mars
- 15 min de lecture
L’amour est-il une nécessité ou une illusion ? Une flamme inextinguible ou un feu de paille dont on alimente les braises par orgueil, par peur du vide, ou simplement parce que l’on ne sait pas faire autrement ? Love, la pièce de Murray Schisgal, pose la question avec une férocité déguisée sous d’irrésistibles éclats de rire. Une femme, deux hommes, un triangle où l’on s’attire, se repousse, se manipule. Ce pourrait être tragique, c’est souvent absurde, et c’est précisément là que réside toute la force de cette comédie acide : dans cette oscillation entre le rire et le vertige, entre le grotesque et l’intime, où chaque sursaut d’émotion dissimule une faille béante. Love est une mécanique brillante qui tourne à plein régime, une danse de dupes où chacun feint de contrôler le jeu alors qu’il est déjà en train de sombrer. C’est échec et mat avant l’ouverture.
Sur scène, au Studio Hébertot, cette partition trouve un nouvel écho sous la direction d’Emma Bazin. Avec Rebecca Benhamour, qui incarne Ellen Manville, Oscar Berthe et Julien Grisol, elle a insufflé à cette pièce une intensité rare, une modernité féroce qui rappelle que, des années 60 à aujourd’hui, le cœur humain est toujours ce champ de bataille où l’on avance à l’aveugle.
Nous avons rencontré Rebecca Benhamour et Emma Bazin, comédienne et metteuse en scène, dans ce moment suspendu à quelques heures d’une représentation. Une conversation sans faux-semblants, où il a été question d’amour bien sûr, mais aussi de manipulation, de sincérité, de théâtre comme terrain de jeu et d’exploration. Une interview à l’image de Love : vive, franche, rythmée. Et terriblement humaine. Love is all you need, mais ce dont on a vraiment besoin, c’est surtout de ces instants où tout sonne juste.

© Pauline Mugnier
CNB : On aime bien demander aux artistes qu'on rencontre leur humeur du moment. Comment allez-vous toutes les deux ?
Rebecca Benhamour : Super bien ! Je suis dans un état de sérénité totale. Jouer chaque semaine, c'est un vrai kiff. Je suis en mode détente, et comme c'est pas toujours le cas, j'en profite à fond !
Emma Bazin : Et ça se ressent dans ton jeu ! Plus t'es relax, plus ça me plaît, et franchement, on y gagne toutes les deux. Moi aussi, ça va très bien, un peu de nostalgie parce qu'on approche de la fin de notre passage à Hébertot, mais beaucoup d'excitation avec l'arrivée du Festival d'Avignon. On sait que le boulot nous attend, mais c'est surtout de l'adrénaline positive. Bref, tout roule !
Et bien rentrons dans le vif du sujet ! Rebecca, tu incarnes Ellen Manville dans la mise en scène d'Emma au Studio Hébertot… Comment vous êtes-vous rencontrées ?
Emma B : Simple : on vient tous de la même école, le Cours Eva Saint-Paul. Julien (Grisol) et Oscar (Berthe) y enseignent encore l’impro.
Rebecca B : Julien, qui joue Milt Manville, avait monté "Love" à l'école et voulait la refaire plus tard avec des potes. Il est resté très proche d’Oscar, ils ont voulu produire la pièce ensemble et ont tout de suite pensé à Emma pour la mise en scène. Moi, j’étais très liée à Oscar, mais avec Emma et Julien, on s’était un peu perdus de vue. Oscar m’a intégrée au projet, et finalement, on s’est redécouverts grâce à cette pièce. Avant, on se croisait à peine, et là, c’est devenu une évidence.
Emma B : Ouais, et puis l’année où on était ensemble, j’étais à fond sur "Les Demoiselles de Rochefort", donc pas trop dispo. Mais on se connaît tous depuis longtemps, et comme on a la même formation, bosser ensemble, c’est hyper fluide.
Rebecca, tu as une carrière polymorphe : actrice, réalisatrice, autrice… Qu’est-ce qui fait du théâtre un espace unique pour toi ?
Rebecca B : L'approche du rôle est totalement différente. J’ai beaucoup tourné pour la télé, et là, je voulais prendre le temps d’explorer un personnage en profondeur, ce que le rythme des tournages ne permet pas toujours. J’adore analyser mon rôle, discuter des moindres détails d’Ellen Manville avec Emma : ce qu’elle aime, ce qu’elle porte, son parfum... Tout peut fonctionner sur scène tant que c'est sincère. Ce qui m’a bluffée avec le théâtre, c’est la liberté et l’apprentissage constant. Le contact avec le public change tout. C’est un travail de patience, d’écoute, très différent d’un plateau de tournage. Et jouer Ellen m’a donné envie d’écrire davantage !
Emma, ton parcours va de la comédie musicale au théâtre dramatique, de l’assistanat à la mise en scène. À quel moment as-tu su que ta place était aussi derrière le texte, à guider les comédiens ?
Emma B : Ce n’est pas un choix définitif, je compte rejouer un jour. Mais sur "Love", j’ai pris la mise en scène avec une sérénité totale. Pour la première fois, je n’ai pas ressenti l’envie d’être sur scène. Sur "Peau d’âne", par exemple, j’étais assistante mais j’ai fini par jouer tous les rôles féminins en doublure, parce que j’avais ce besoin de monter sur scène. Là, c’était différent. J’ai aussi ressenti une pression énorme : si la pièce ne plaît pas, c’est ma vision qu’on remet en cause, pas seulement le jeu des acteurs. Mais c’est un stress gratifiant. Il y a un pouvoir créatif qu’on n’a pas en tant que comédien : cette fois, j’avais le dernier mot. Et pour l’instant, ça me convient parfaitement.

© Pauline Mugnier
Love n’est pas une pièce que l’on voit si souvent montée en France. Emma, qu’est-ce qui t’a donné envie d’adapter ce texte en particulier ?
Emma B : C’était un vrai pari. Franchement, à la lecture, la pièce ne m’emballait pas vraiment pour être honnête. Ce n’est pas mon univers de base. Mais j’avais envie de travailler avec ces trois acteurs, et je me suis demandé comment y apporter ma patte. Et j’ai réussi à me l’approprier ! Chaque soir, ça me fait rire, alors qu’à la base, ce n’est pas mon humour. Pour moi, ça flirte avec le vaudeville, même si Oscar n’est pas d’accord avec moi : c’est très rapide, truffé de gags. Ce n’est pas mon style, alors j’ai cherché à ralentir le rythme, à donner plus de profondeur aux personnages. L'idée, c'était que quand ça tape, ça tape fort, et qu’il y ait un vrai message derrière. Mission accomplie !
Quand on choisit de monter une pièce, il y a toujours un dialogue entre le texte et son époque. Qu’est-ce que Love raconte de notre monde actuel ?
Rebecca B : Comme Emma, j’étais pas ultra fan au début. À la lecture, j’ai aimé, mais pas au point d’avoir envie de jouer Ellen. Elle représentait pour moi l’archétype de la femme des années 60 : épouse modèle, ménagère parfaite, rêvant de mariage et d’enfants, quitte à mettre sa culture de côté pour son mari. Mais replacée dans son contexte, elle était moderne pour son époque : une femme divorcée, spontanée, parfois gênante, qui ose tout dire. Le déclic est venu quand Emma et notre assistante m’ont dit : "Arrête de la voir avec les yeux de 2025, accepte-la telle qu’elle a été écrite." Là, tout a changé. J’ai fini par l’adorer et à la jouer au 3000ᵉ degré. Pas pour la rendre moins importante, mais pour montrer combien les choses ont évolué depuis. Et puis, Ellen a toujours une longueur d’avance. Elle sait parfaitement manipuler son image pour obtenir ce qu’elle veut.
Emma B : Le thème central reste l’amour, intemporel et universel. Peu importe l’époque, on en revient toujours aux mêmes questions : jusqu’où peut-on aller par amour ? Où poser les limites ? Comment l’amour nous définit-il en tant qu’individu ? Le texte montre bien que certaines choses ont vieilli, mais l’essence de la pièce, elle, ne bouge pas.
Rebecca B : C’est aussi la quête de soi à travers l’amour. Jusqu’où on est prêt à aller pour se sentir vivant ? Et ça, c’est toujours d’actualité.
L’amour, dans cette pièce, est un jeu, une transaction, parfois même une absurdité. Emma, comment avez-vous choisi de traiter cette ambiguïté dans votre mise en scène ?
Emma B : En l’assumant à fond. Les moments absurdes doivent être vraiment absurdes pour que le reste soit sincère. Je parle toujours d’un "élastique" en tension permanente : quand il claque, il faut qu’il claque fort. On a décidé d’y aller à 100 %, sans recul ironique, sinon ça tomberait à plat. L’époque des années 60 est marquée dans l’écriture, donc il fallait embrasser cet aspect pleinement pour ne pas dénaturer le texte.
Rebecca B : Les personnages sont d’une intensité folle. Ellen aime jusqu’à l’absurde, jusqu’à la folie. Mais qui n’a jamais perdu pied par amour ? Quand on est dedans, on ne se rend pas compte. Et de l’extérieur, on a parfois l’air totalement irrationnels.
Emma B : C’est pour ça que c’est universel. L’amour reste l’amour, peu importe l’époque.
Rebecca, Ellen est prise dans un engrenage où les hommes décident pour elle, avant qu’elle ne reprenne le contrôle. Comment as-tu construit cette bascule ?
Rebecca B : J’y reviens, mais pour moi, elle garde toujours une longueur d’avance. Elle aime Milt d’un amour inconditionnel. Elle est persuadée qu’ils finiront ensemble quoiqu’il arrive. "Tu veux que je m’amuse ailleurs ? Ok, je vais le faire, mais on se retrouvera." Elle joue avec les règles imposées pour mieux les contourner. Elle est plus libre que les hommes, car elle voit la situation avec un recul qu’eux n’ont pas.
Emma B : Mais elle se prend aussi à son propre jeu. Elle est tellement engagée dans son rôle d’épouse parfaite qu’elle finit par se convaincre d’aimer Harry. Elle décide de l’aimer.
Rebecca : Là-dessus, ça dépend des soirs. Pour moi, elle est surtout amoureuse de l’idée d’être amoureuse.
Emma B : Amoureuse de l’amour et amoureuse du rôle que ça donne à cette femme-là, d’être aimée.
Cette pièce joue sur un rythme effréné, entre dialogues acérés et situations absurdes. Comment avez-vous cette dynamique entre le comique et le tragique ?
Emma B : Pour moi, ces deux registres sont indissociables. Le comique fonctionne précisément parce que le tragique est poussé à son paroxysme. Si un personnage souffre profondément, alors son désespoir peut devenir absurde et, paradoxalement, nous faire rire. J’ai insisté auprès des comédiens : "Ne cherchez pas à être drôles, jouez avec sincérité." Ce n’est pas un comique de surjeu ou d’artifice, mais un comique organique, qui naît du décalage entre ce que vit le personnage et la situation vue de l’extérieur. Plus ils sont investis émotionnellement, plus c’est drôle.
Rebbeca B : Et c’est là que notre travail en tant que comédiens a été passionnant. Cette pièce regorge de ruptures de ton. Une réplique peut nous faire passer en une seconde de l’hystérie au calme plat, du désespoir total à un éclat de rire. Ce n’est jamais linéaire. Il a fallu trouver le bon équilibre entre ces montagnes russes d’émotions. Parfois, on peut basculer brutalement, parfois il faut un petit palier, un escalier entre les émotions. On a travaillé à rendre ces transitions aussi naturelles que possible. C’est la clé de toute grande comédie. Même dans les moments où Ellen semble agir de manière grotesque, il ne faut jamais oublier qu’elle est sincèrement en souffrance. C’est cette sincérité qui donne tout son impact au comique, et qui fait que le spectateur oscille sans cesse entre rire et empathie.

© Pauline Mugnier
Il y a quelque chose de presque cinématographique dans Love, avec des situations qui pourraient être des scènes de film burlesque. Emma, est-ce que le cinéma a influencé ta mise en scène ?
Emma B : Plutôt Broadway et le music-hall. J’ai puisé là-dedans à 1000 %. Mais c’est aussi grâce aux comédiens qui ont été une vraie source de propositions. Leur énergie et leur inventivité ont guidé ma mise en scène.
Rebecca B : Moi, j’ai pioché dans des références très variées. D’abord, l’actrice Gena Rowlands, notamment dans les films de Cassavetes, pour ses ruptures d’émotion brutales. Ensuite, Vivien Leigh, parce que Autant en emporte le vent est un film que j’adore : sa folie, son amour poussé à l’absurde, autant dans ses rôles que dans ses interviews, m’inspirent énormément. J’ai aussi pensé à Monsieur et Madame Adelman, ce côté aimer coûte que coûte, organiser chaque étape d’une histoire d’amour. Et puis, il y a Sam Shepard, dont j’admire l’écriture brutale, presque âpre. Avec Julien, on en parle souvent. Je voulais trancher avec le romantisme de Love en y apportant quelque chose de plus viscéral, plus terrien. C’est un axe que j’ai envie d’explorer encore plus dans mes prochains rôles.
Quel a été justement le plus grand défi pour toi dans le fait d’incarner Ellen ?
Rebecca B : Assumer sa sensualité, sans doute. Plus encore que sa féminité très années 60, qui nous est devenue étrangère. J’ai tendance à me cacher derrière l’humour et le côté enfantin du personnage, alors qu’Ellen n’est pas une femme-enfant. Ses réactions sont parfois disproportionnées, presque puériles, mais elle n’a rien d’innocent. Il a fallu que je trouve l’équilibre. Jouer une sensualité assumée sur scène, c’est un vrai challenge. Ellen est une séductrice, mais dans une dynamique qui m’évoque Lolita. Une séduction qui n’est ni totalement maîtrisée ni totalement naïve. C’est compliqué d’assumer la sensualité sur scène.
Love pose une question essentielle : l’amour est-il une nécessité ou une illusion ? Après avoir exploré cette œuvre de l’intérieur, comment résonne cette question en vous ?
Emma B : Pour moi, c’est les deux. L’amour peut être une nécessité, mais on peut aussi croire qu’il l’est alors qu’il s’agit d’une illusion. Ça dépend des individus, de leur rapport à eux-mêmes et aux autres.
Rebecca B : Ce qui est frappant dans la pièce, c’est que ces trois personnages ne s’aiment pas eux-mêmes. Ils cherchent donc à combler ce vide par les autres, ils se remplissent des autres, en se racontant une histoire. Mais si tu passes ta vie à jouer un rôle, seras-tu jamais aimé pour qui tu es vraiment ?
Emma B : Donc on va dire que l’amour exige de s’aimer soi-même, mais croire que l’autre doit aimer est une pure illusion.
Rebecca B : Ça dépend aussi de l’étape de vie dans laquelle on se trouve. L’amour est étrange : on laisse entrer des gens dans notre monde alors qu’on sait parfois que c’est une folie. Et puis, tout dépend du langage amoureux de chacun. Il y a des relations où l’amour est là, mais tellement mal exprimé qu’on ne sait plus s’il existe vraiment. Entre nous quatre – Emma, Oscar, Julien et moi – on partage une vision commune de l’amour, ce qui a facilité notre manière de travailler la pièce.
Harry veut mourir, Milt veut se débarrasser de sa femme, Ellen cherche à exister au-delà des décisions qu’on prend pour elle. Derrière l’humour, cette pièce parle aussi de solitude et de vide. Comment avez-vous abordé cette dimension plus sombre ?
Emma B : Ce qui est fascinant dans la pièce, c’est que les trois personnages traversent exactement les mêmes étapes, mais dans un ordre différent. Ils ont chacun leur moment où ils se sentent exister, leur moment où ils sombrent. Le texte fonctionne comme un écho perpétuel : ce que traverse un personnage, un autre va le vivre à son tour, mais sous un angle différent. L’amour est ici une corde qui se tend, se croise et s’emmêle, pour revenir toujours au même point. C’est ce qui rend Love aussi percutante et intemporelle.
Dans cette pièce, tout le monde ment, manipule, se joue des sentiments des autres. À votre avis, l’amour peut-il exister sans une part de mensonge ?
Emma B : Pour moi, non. Dans le véritable amour, il ne peut pas y avoir de manipulation. L’amour, c’est être pleinement soi-même et être accepté avec ses pires défauts. Dès qu’il y a jeu de pouvoir, c’est autre chose.
Rebecca B : Je suis d’accord, mais je nuance. J’ai longtemps cru qu’il fallait toujours tout dire dans une relation. Avec le temps, je réalise que certaines vérités doivent attendre leur moment. Il ne s’agit pas de mentir, mais parfois, on ne peut pas tout dire instantanément sans blesser. Il y a un bon moment pour certaines vérités. Ce n’est pas du mensonge, c’est de l’omission consciente.
Emma B : Ce dont on parle, c’est d’amour inconditionnel. Un amour sans conditions, sans artifices, sans manipulation. Mais dans Love, il n’y a que de la manipulation. Est-ce que ça signifie que ce n’est pas de l’amour ? Ou est-ce que ça prouve que même dans sa forme la plus tordue, l’amour persiste ? C’est là que la pièce est brillante : elle pose la question sans y répondre, et c’est au spectateur de trancher.

© Pauline Mugnier
Emma, Love est une nouvelle étape dans ton parcours de metteuse en scène. Qu’est-ce que cette pièce t’a appris sur ta façon de travailler ?
Emma B : Bonne question ! Déjà, que j’aime vraiment ça. J’avais mis en scène Les Demoiselles de Rochefort, mais c’était un projet de fin d’études. Ici, c’est ma première mise en scène professionnelle en solo, et j’ai découvert que c’était un exercice qui me plaisait profondément. Ça demande du recul, de la patience, et surtout une vraie capacité d’écoute. Chaque comédien a ses besoins, ses manières de travailler, et il faut savoir s’adapter. Cette expérience m’a prouvé qu’avec du travail et une équipe soudée, tout est possible.
Rebecca, entre ton travail d’écriture et ce rôle d’Ellen, sens-tu que ton jeu d’actrice nourrit votre plume, et inversement ?
Rebecca B : Bien sûr. Mais en réalité, tout nourrit le travail d’actrice. L’interview qu’on est en train de faire, observer les gens autour de nous, les tensions, les silences, les disputes, les réflexions… Tout est matière à jeu. Tout sert. Il y a mille façons d’aborder un rôle, aucune n’est universelle. Parfois, on abandonne une méthode pour en retrouver une autre plus tard, parfois on fonctionne sans méthode du tout, et c’est très bien comme ça. Tout ce que j’ai vécu, les refus, les projets, tout ce qui a traversé mon parcours d’actrice nourrit mon jeu, mon écriture et vice-versa. Je n’ai aucun regret, et c’est ça ma philosophie.
Le théâtre est un travail d’équipe, une alchimie entre les comédiens, la mise en scène et le public. Y a-t-il un moment, une répétition, une scène, qui vous a particulièrement marquées ?
Rebecca B : Oui, et je vais contextualiser. Dans beaucoup d’écoles de théâtre, et c’était encore plus vrai avant, on travaille énormément sur le texte, sur son sens, sur l’intellectualisation des personnages. Ce qui m’a parfois manqué, c’est le travail sur le corps. Je ne dis pas que c’est lié à mes profs, mais moi, je me suis enfermée dans quelque chose de très cérébral. Et la première fois que j’ai tourné ou que j’ai travaillé dans une école de cuisine, par exemple, et qu’on me disait "tu vas courir là-bas", "tu vas faire tel geste", j’étais complètement perdue. Je ne savais plus où j’étais dans mon corps.
Dans Love, au début de la pièce, j’ai une scène avec un graphique, et c’était un enfer pour moi de lier le texte au geste. J’étais bloquée. Et pourtant, aujourd’hui, c’est une de mes scènes préférées. C’est ça qui est fou : en répétition, on peut être figé sur une scène, et une fois sur les planches, devant le public, tout se débloque. C’est la magie du théâtre.
Emma B : Je rebondis là-dessus, parce que je pense aussi qu’on a été formés en intellectualisant trop. Un comédien, pour moi, ne doit pas trop réfléchir. Son boulot, c’est d’agir. C’est au metteur en scène d’intellectualiser, de répondre aux questions. L’acteur, lui, doit être dans le "just do it", sinon il se met des barrières et se perd dans sa tête.
Rebecca B : Il faut quand même se poser des questions, sinon ça devient problématique. Mais oui, il faut faire confiance à la mise en scène, sinon on part dans tous les sens. Essayer plein de choses, c’est bien, mais il faut aussi fixer des choses pour donner de la clarté au jeu.
Emma B : Mais en répétition, on a surtout énormément ri. On ne s’est jamais disputés, et c’est rare. Parfois, on avançait plus lentement parce qu’on passait trop de temps à rigoler, mais paradoxalement, ça nous a aidés à explorer plein de nuances dans le jeu et la mise en scène. C’était une dynamique précieuse.
Après tant d’heures passées avec cette pièce, qu’est-ce que Love vous laisse, à titre personnel ?
Rebecca B : Un truc simple, mais essentiel : le bonheur de travailler avec des gens bienveillants. C’est si rare d’évoluer dans un environnement où personne ne calcule tout, où il y a une vraie générosité dans l’échange. On était quatre, et c’était juste… fluide, naturel. C’est un luxe.
Emma B : C’est ça. Il n’y a rien de plus précieux que de bosser avec des gens qui aiment bosser ensemble. Et ça se ressent sur scène. Le premier retour du public, c’est toujours : "On sent que vous prenez du plaisir à jouer ensemble." Et c’est communicatif. Ça booste l’énergie des spectateurs autant que la nôtre. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’acteurs qui jouent par automatisme, qui semblent presque blasés. Et en tant que public, on le sent. Ici, c’est tout l’inverse. C’est un souffle d’air frais.
Rebecca B : Mais surtout, Love nous rappelle que l’amour ne suffit pas.
Emma B : Que l’amour n’est pas une fin en soi !
Rebecca, y a-t-il une phrase, un moment d’Ellen qui vous hante encore après les représentations ?
Rebecca B : "Hanter", non, je dors très bien ! Mais il y a des phrases qui restent. La scène du graphique que j’évoquais tout à l’heure me marque particulièrement. Et puis il y a cette réplique qui m’a beaucoup nourrie : "Je n’aurais pas divorcé, tu le sais, mais c’est toi qui l’as voulu froidement et délibérément. Tu m’as forcée à épouser Harry, et maintenant je ne peux plus te faire confiance. Et quand il n’y a plus de confiance, il ne peut plus y avoir d’amour.” C’est une phrase clé, qui résume tellement de choses sur le personnage et sur la pièce.
Enfin, qu’est-ce que l’on peut vous souhaiter à toutes les deux ? Quels sont vos prochains projets ?
Rebecca B : Le luxe de pouvoir choisir nos projets. Parce que c’est un luxe ! Et tout simplement, de continuer à travailler.
Emma B : On bosse déjà beaucoup, mais bosser encore plus ! Le travail appelle le travail.
Rebecca B : Jouer tous les soirs, ça donne une confiance folle. Ça m’aide même dans mes castings, parce que je suis sur scène et je sais ce que je peux offrir. Mais l’objectif, c’est de continuer à travailler sur la durée. C’est ça, le vrai challenge.
Emma B : Si on peut travailler encore dans plusieurs années, on pourra se dire heureuses. Pour l’instant, on savoure la fin de Love à Hébertot… et on se prépare pour Avignon !
LOVE est à découvrir urgemment au Studio Hébertot mardi 18 et mercredi 19 mars pour les dernières représentations. Lien vers la billeterie : https://indiv.themisweb.fr/0515/fChoixSeance.aspx?idstructure=0515&EventId=281
LOVE sera aussi à retrouver au Festival d'Avignon à 19h au Théâtre des Barriques.

© Pauline Mugnier
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